Suicide de Dinah : Comment combattre le harcèlement scolaire ?

Contexte : Dinah, une adolescente de 14 ans, s’est pendue après avoir été harcelée à l’école pendant plusieurs années.


Elle s’appelait Dinah. C’était une jeune fille de 14 ans portée par l’insouciante légèreté de sa jeunesse. Finalement, une jeune fille à part entière avec ses convictions et ses différences. Comme chacun, elle avait ce quelque chose en plus qui la rendait unique.

Selon Samira, sa maman, Dinah aimait la vie et sa joie était remarquée de tous. Son sourire était éclatant, communicatif. Elle était très proche de son frère, Rayan. Son témoignage, le 25 octobre 2021 sur le plateau de «Touche pas à mon poste !», est bouleversant. Rayan tenait le rôle de grand frère, de confident, de pilier dans la vie de Dinah. Ensemble, quoi qu’il arrive, dans le bonheur ou dans l’épreuve.

Et pourtant, malgré son socle familial solide et ses qualités personnelles, le 5 octobre 2021, Dinah a mis fin à ses jours.

Elle était une fille et une sœur, mais devient malgré elle le visage d’un fléau. Un fléau qui brise chaque année des familles. Il n’y a rien de plus traumatisant pour un parent que de perdre un enfant. La mort d’un enfant n’est pas un événement naturel et entraîne une peine incommensurable. Mes pensées vont à ces familles qui soignent leurs plaies, en sachant qu’elles ne seront jamais vraiment guéries.

Chaque année, le harcèlement scolaire vole l’insouciance de 700 000 jeunes et les abîme durablement. Depuis le début de l’année 2021, 18 jeunes ont d’ailleurs craqué sous son poids.

Pourtant, le suicide d’un jeune est presque devenu banal dans notre pays. Un fait divers, qui tantôt fait l’actualité mais le plus souvent tombe dans l’oubli. Cet acte de désespoir ultime devrait plutôt alarmer la société. Nous ne pouvons pas accepter que notre futur, incarné par la jeunesse, se suicide.

Et justement, qu’est-il arrivé à Dinah ?

Des élèves de son collège ont décidé d’en faire leur souffre-douleur, rendant son quotidien infernal et donc insupportable. Cette jeune fille n’a pas pu faire face au harcèlement permanent dont elle était victime à l’école et sur les réseaux sociaux. Personne n’est fait pour porter un tel fardeau. À ce jour, le Parquet a ouvert une enquête pour harcèlement. Si rien ne peut ramener Dinah, la société doit au moins la justice à sa famille. Elle est sans doute le symbole de tous ceux qui n’y ont pas eu le droit avant elle.

D’ores et déjà, les témoignages de sa maman, de son frère, montrent combien Dinah était déstabilisée par un groupe d’élèves qui lui avaient construit un enfer de vie. À l’école, sa soif de savoir était devenue son handicap. Dans une boucle Whatsapp, elle était victime de moqueries, d’injures et de propos racistes. Son attirance pour les filles, confiée pudiquement à ses amies puis rendue publique, était également devenue le moteur de son calvaire.

L’avenir qui lui tendait les bras s’est assombri. Ce n’est pas Dinah qui s’est brûlé les ailes, ce sont les autres qui lui ont coupé.

Les professeurs, le personnel pédagogique, sans doute démunis, n’ont pas su l’aider. La famille avait pourtant alerté l’équipe de direction de l’établissement. Le harcèlement à l’école ne doit jamais être minimisé, invisibilisé ou ignoré. La mort de Dinah nous le rappelle. Oui, nous portons tous une part de responsabilité dans cette tragédie. Il appartient donc à la société de se saisir de cette réalité parfois inconnue, parfois cachée et souvent incomprise. Le harcèlement à l’école n’est pas nouveau, mais le chemin qu’il emprunte aujourd’hui ne laisse aucun répit à la victime.

L’omniprésence des réseaux sociaux fait planer l’ombre du harcèlement hors du temps scolaire, jusqu’au domicile. C’est un véritable «continuum» de violences, qui génère une pression constante menant à l’asphyxie des victimes. Masqués derrière un clavier, désinhibés, les harceleurs se défoulent sans limite sur leurs proies, sans distinguer le réel du virtuel. Détruire semble être devenu un jeu, harceler des victimes déshumanisées par les réseaux, la règle.

Et pourtant, la mort de Dinah est bien réelle.

Alors que les réseaux sociaux occupent une place centrale dans notre quotidien, personne ne semble appréhender leurs effets dans la société. Ils sont très souvent au cœur des polémiques, des attaques, des vengeances. Ils semblent échapper au contrôle de leurs propres créateurs, dépassés par le phénomène de masse. Même si les réseaux sociaux ne sont pas mauvais par nature, ils sont détournés du meilleur pour faire le pire. Et dans les mains d’un jeune, la possibilité d’atteindre n’importe quoi et n’importe qui en quelques clics peut avoir des effets désastreux.

En la matière, l’État et les lois ne peuvent pas tout. Comme souvent, nous en revenons au rôle des parents. Avant de mettre entre les mains d’un enfant, d’un jeune, un téléphone portable, il est essentiel de les sensibiliser à ses dangers. Avoir un téléphone, s’inscrire sur un réseau social, n’est plus un acte anodin. Le rôle de l’école est également majeur dans cet apprentissage. Il est urgent d’imposer aux établissements scolaires de planifier des temps pédagogiques destinés à mieux appréhender internet, les réseaux sociaux, les jeux en ligne, la violence décomplexée de certaines séries télévisées, le temps hebdomadaire passé sur les écrans… Si ces initiatives ont plutôt tendance à se généraliser, elles doivent devenir la règle.

Les directeurs d’établissements, les professeurs et le personnel pédagogique doivent être formés à détecter les «signaux faibles» du mal-être d’un élève, et le cas échéant savoir l’écouter et lui parler. Il faut un choc de libération de la parole. L’acte de Dinah doit le provoquer, et permettre à l’administration d’apprendre de ses lacunes. En fait, à l’avenir, il faut davantage agir par anticipation plutôt que par réaction.

Au-delà du personnel éducatif, le corps médical, régulièrement en contact avec les jeunes, doit aussi tenir son rôle de lanceur d’alerte d’une souffrance intérieure.

Je me permets également d’appuyer la demande de l’association «Hugo !», spécialisée dans la lutte contre le harcèlement scolaire, qui appelle les collectivités locales à mobiliser davantage de moyens et à associer l’ensemble des acteurs locaux autour d’objectifs identifiés et bornés dans le temps.

Sur ce sujet aussi, la peur et la honte doivent changer de camp.

Pour conclure, je cite un passage du livre Un enfer scolaire de Matthieu Meriot, victime de harcèlement scolaire : «Protégez vos enfants, veillez sur eux, parlez-leur. S’ils vont mal, ils ne vous le diront pas forcément, n’attendez pas qu’il soit trop tard !»

Cette tribune est dédiée à la famille de Dinah, à ses proches, et à toutes les victimes du harcèlement.